Prélèvement à la source… du problème
- mars 25, 2016
- Politique
- Par Morel Le Rogue
Michel Sapin a révélé il y a quelques jours les contours de la réforme sur le prélèvement de l’impôt à la source. Elle ne devrait entrer en vigueur qu’en 2018 mais suscite déjà de nombreuses inquiétudes légitimes.
Le projet de réforme fiscale visant à prélever l’impôt « à la source » est revenu de nombreuses fois dans le débat public. Les uns après les autres, les gouvernements y ont songé sans jamais agir. Jusqu’à présent. François Hollande en avait fait l’un de ses engagements de campagne. Force est de constater que le projet semble en bonne voie. En effet, Michel Sapin, ministre des Finances a dévoilé le 16 mars les premiers arbitrages sur la réforme. Elle devrait être présentée en Conseil des ministres au mois de juin, avant d’être débattue au Parlement en juillet. Elle devrait être votée au plus tard dans le projet de loi de Finances de l’automne 2016 pour entrer en vigueur en 2018.
Pourquoi le prélèvement à la source ? Les arguments officiels
1) S’assurer du recouvrement de l’impôt
En prélevant l’impôt directement à la sortie du robinet à billets (= les méchantes entreprises) et autres caisses de retraites et pôle emploi, l’Etat s’assure d’un recouvrement intégral de l’impôt.
2) Collecter l’impôt des ménages en temps réel
3) Un gain de trésorerie
4) Simplifier le processus de collecte de l’impôt et ainsi réaliser des économies
La réforme permettrait d’épargner du temps de travail à l’administration fiscale et simplifierait le processus.
5) Appliquer les hausses d’impôts plus rapidement
la réforme est « utile pour l’économie » (ce qui n’est pas épargné est consommé) mais permet aussi de « renforcer » l’effet des stabilisateurs sociaux (une personne tombant au chômage n’aura plus à acquitter le même impôt) et « d’améliorer l’efficience de la politique fiscale »
Pourquoi ces arguments relèvent-ils du foutage du gueule en règle?
1) Améliorer le recouvrement de l’impôt?
Avec le système en place actuellement, le taux de recouvrement spontané de l’impôt sur le revenu est déjà de 98.5% (source: La Tribune et Contrepoint ). Tout au plus une amélioration à la marge, basée sur l’hypothèse que toutes les entreprises s’acquitteront parfaitement de leur tâche.
2) Un impôt en temps réel?
3) Un gain de Trésorerie
4) Simplifier… Mais pour qui ?
En 2012, le conseil des prélèvements obligatoires estimait qu’une telle mesure coûterait aux entreprises entre 1,3% et 3,5% des sommes collectées, soit une facture de 700 millions d’euros à 2 milliards par an.
5) Des hausses d’impôts facilitées
Mais que cache réellement le prélèvement à la source ?
Dans le maquis fiscal français, cette réforme nous est présentée comme une simplification du système en place. Mais ce n’est pas en changeant la méthode de collecte qu’on clarifie la fiscalité. Les plus de 200 niches fiscales existeront toujours, le calcul du quotient pour un ménage ou un couple sera toujours aussi incompréhensible… Non, clairement, ce n’est pas vers ça qu’il faut se tourner pour trouver les vraies raisons du passage au prélèvement à la source. Avec cette initiative, le gouvernement donne l’impression d’agir sur le système fiscal français, tout en se préservant bien d’un vrai débat démocratique autour de la refonte de l’impôt sur le revenu, voire du système d’imposition en général.
L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris.
Colbert, ministre des Finances de Louis XIV
Et nous sommes bien dans ce cas de figure précis! Avec le prélèvement à la source, on se rend moins compte de la pression fiscale. Qui devient ainsi plus supportable et moins contrôlable. Je pense qu’il est plus raisonnable, plus efficace, que l’impôt soit payé directement par les contribuables/citoyens. Qu’il soit douloureux et les contribuables conscients du poids des taxes et impôts sur leur pouvoir d’achat et leur salaire. Pour illustrer ce principe, remarquons que la CSG, prélevée à la source, a été multipliée par 7 en 7 ans, sans que nous en soyons correctement informés. Ou encore, on peut évoquer la TVA, taxe sournoise (puisque directement intégrée dans le prix de vente) qui représente près de la moitié des revenus fiscaux!
Cette mesure censée soi-disant « faciliter la vie des français » affaiblit en réalité la reddition des comptes démocratique, brouille toujours plus la lisibilité du contrat démocratique « impôts-contre-services publics »
Emmanuel Martin, docteur en économie dans un article pour l’IREF
Le prélèvement à la source n’est au final qu’une autre réformette, qui aura son lot d’externalités négatives, pour peu de vraies avancées. On s’attaque à la collecte, sans traiter le vrai problème: la fiscalité. Le prélèvement à la source n’est pas intrinsèquement mauvais. Il pourrait même s’avérer pratique et efficace dans un système fiscal simple et clair. Par exemple avec la mise en place d’une « flat-tax » à un ou deux taux.
Mais ce n’est pas dans l’air du temps. Dommage. En attendant, plumés pour plumés, tâchons de crier un maximum. En espérant être entendus.