Loi de Parkinson : le sentiment d’être débordé au travail
- août 09, 2016
- A la Une, Politique, Société
- Par Morano de Bergerac
Rien à voir avec la maladie, la loi de Parkinson provient du nom de son auteur. Parue en 1955 dans The Economist, elle nous éclaire sur ce sujet épineux : pourquoi les fonctionnaires semblent-ils toujours débordés ?
Trois ans après la parution de son article dans The Economist, Cyril Northcote Parkinson décide d’approfondir la thématique dans un livre Parkinson’s law or the pursuit of progress 1 qui deviendra un best-seller. Méconnue en France, la loi de Parkinson est souvent résumée par « le travail tend à occuper tout le temps disponible pour l’accomplir ». L’auteur illustre son propos avec un exemple de la vie courante : la rédaction d’une carte postale.
Une dame retraitée peut passer une journée entière à écrire et envoyer une carte postale à sa nièce. Là où un homme affairé aura tout dit en trois minutes, cette dame passera une journée de doute, d’anxiété et de labeur.
La qualité des deux cartes est identique. La seule variable est le temps disponible pour accomplir la tâche. Voici l’essence de la loi de Parkinson, le temps passé à réaliser une tâche n’a pas de lien avec le temps réellement nécessaire pour l’accomplir. Il peut varier de trois minutes à une journée en fonction du temps dont on dispose.
Analogie avec la théorie des gaz
Rappelons-nous de cette loi physique qui énonce qu’un gaz se dilate jusqu’à occuper tout l’espace mis à sa disposition. Plus le volume disponible est important plus la pression diminue et inversement. On pourrait d’ailleurs faire l’analogie avec la « pression » du monde du travail. Que ce soit pour un gaz ou un travailleur, la pression varie avec le volume disponible.
Ce constat simple pourrait se suffire à lui-même si la notion de motivation n’y était pas associée. En effet notre motivation dépend d’une juste estimation du facteur temps. Une tâche dans un temps irréalisable entrainera une pression insoutenable, là où un temps trop long entrainera l’ennui (voire la procrastination). La démotivation n’est pas l’apanage unique du manque de temps. Allouer trop de temps pour réaliser une tâche entraînera également la démotivation de l’exécutant.
Nombre de fonctionnaires : une inflation inéluctable
L’historien naval ne se limite pas à déconstruire le lien entre le temps passé et le temps réel nécessaire. Il s’intéresse tout particulièrement à la bureaucratie et à nos amis les fonctionnaires. Teinté d’un humour britannique, il décortique le fonctionnement de l’administration et en retire ce second principe.
Tout travail au sein d’une administration augmente jusqu’à occuper entièrement le temps qui lui est affecté.
Parkinson s’est servi de son expérience dans la Royal Navy pour observer attentivement les fonctionnaires. Il y remarque que ces derniers ont tendance à multiplier leurs subordonnés et se créent ainsi mutuellement des tâches, sans lien direct avec le volume de travail à effectuer.
Le fonctionnaire a tendance à flatter son égo en multipliant les subordonnés à ses ordres. Il préférera deux agents plutôt qu’un. Ainsi chacun de ses subordonnés ne réalise que la moitié de son travail ; personne ne connaît l’intégralité des tâches du chef. Ces fonctionnaires se créent mutuellement du travail, le nouveau chef (de bureau) passe désormais son temps en réunion pour coordonner le travail de ses deux adjoints. Le travail initialement réalisé par une personne est désormais accompli par trois.
Le tableau ci-dessus est une preuve éloquente. On y remarque la fin de la grande flotte britannique entre 1914 et 1928, qui passe de 62 à 20 navires. Malgré la réduction drastique de la flotte, et donc du travail à effectuer, le nombre de fonctionnaires à terre augmente de 78,45% sur la période.
Un autre exemple est le département colonial qui comprenait 372 personnes en 1932 et 1 661 personnes après la fin de l’existence des colonies britanniques. Parkison va jusqu’à estimer une règle de cette inflation de fonctionnaires : l’augmentation inéluctable serait de l’ordre de 6% par an.
Comme le rappelle Parkinson, rien ne justifie ces augmentations de fonctionnaires, bien au contraire. « Les territoires coloniaux n’ont pas évolué en surface ou en population entre 1935 et 1939. Ils ont même considérablement diminuée en 1943, certaines zones étant passées aux mains ennemis. Ils ont certes augmenté en 1947 mais ont ensuite rétrécies de façon constante jusqu’à ce que les territoires atteignent le statut de colonies indépendantes. »
La Loi de Parkinson appliquée à l’administration française
La loi de Parkinson s’applique parfaitement à la France. La cour des comptes a publié un rapport sur les effectifs de l’État entre 1980 et 2008 et en particulier ceux du ministère de l’agriculture.
L’effectif du ministère de l’agriculture n’a suivi ni la décroissance sensible du nombre des agriculteurs (la population active agricole est passée de 1,9 million en 1980 à 0,9 million en 2005), ni la diminution de la part du secteur agro-alimentaire dans l’économie (4,2 % du PIB en 1980 contre 2 % en 2005). Il s’est au contraire accru de 6,5 % si on prend en compte les emplois budgétaires du seul ministère et il a doublé si on intègre dans le calcul les agents des opérateurs du secteur agricole (18 480 en 1980 et 35 646 en 2006).
Plus anecdotique, les effectifs du ministère des Anciens combattants restent stables. Tandis que le nombre d’anciens combattants en vie diminue d’année en année…
Les deux autres lois de Parkinson
Parkinson définit également deux autres lois, toujours liées à la nature humaine et aux prises de décision.
1. La loi de futilité ou « loi du local à vélos »
Cette loi énonce que dans un comité financier, plus le budget discuté est important, moins on y passe de temps, et inversement.
En résumé, plus un sujet est complexe moins les personnes sans compétence ni légitimité interfèrent au sein du débat. A l’inverse, chacun semble bon de s’emparer d’une décision triviale mais compréhensible. Débattre du nouveau projet de loi de Finances prend donc moins de temps que de changer le nom d’une rue ou d’un monument…
2. Le coefficient d’inefficacité
Parkinson définit le nombre critique des membres d’un cabinet ou conseil des ministres, nombre à partir duquel ce cabinet ministériel devient inefficace. Il établit le seuil critique entre 19,2 et 22,4.
Voici un tableau comparatif des tailles des cabinets ministériels selon les pays.
Effectif | Pays (situation en 1954) | Pays (situation en 2013) |
6 | Honduras, Luxembourg | – |
7 | Haïti, Islande, Suisse | Suisse |
9 | Costa Rica, Equateur, Libéria, Panama, Philippines, Uruguay | – |
10 | Guatemala, Salvador, Etats-Unis | Islande |
11 | Brésil, Nicaragua, Pakistan, Paraguay | Paraguay |
12 | Bolivie, Chili, Pérou | – |
13 | Colombie, République Dominicaine, Norvège, Thaïlande | – |
14 | Danemark, Inde, Afrique du Sud, Suède | Espagne, Nicaragua, Salvador, Uruguay, Sao Tomé |
15 | Autriche, Belgique, Finlande, Iran, Nouvelle-Zélande, Portugal, Venezuela | Guatemala, Luxembourg |
16 | Irak, Pays-Bas, Turquie | Allemagne |
17 | Israël, Espagne | Bulgarie |
18 | Egypte, Royaume-Uni, Mexique | Argentine, Finlande, Japon, Pérou |
19 | Grèce, Indonésie, Italie | Belgique |
20 | Australie, Japon | Philippines, Pays-Bas, Autriche, Mexique, Pologne |
21 | Argentine, Birmanie, Canada, FRANCE | Bolivie, Norvège, Panama, Roumanie, République Tchèque |
22 | Chine | Costa Rica, Libéria, Portugal |
23 | – | Chili, Danemark, Haïti |
24 | – | Etats-Unis, Bénin, Suède |
25 | – | Sénégal |
26 | Bulgarie | Turquie |
27 | Cuba | Royaume-Uni |
28 | – | Nouvelle-Zélande, République Dominicaine |
29 | Roumanie | Iraq |
30 à 35 | – | Iran, Irlande, Israël, Russie, Honduras, Maroc, Inde, Cuba, FRANCE, Thaïlande |
36 à 40 | – | Egypte, Indonésie, Venezuela, Brésil, Canada, Chine, Italie, Equateur |
41 à 45 | – | Australie, Gabon, Grèce, Colombie |
46 à 55 | – | – |
Plus de 55 | – | Guinée Equatoriale, Cameroun, Pakistan, Afrique du Sud, Birmanie |
L’article Parkinson’s Law publié en 1955 dans The Economist.
Commentaires (1)
Lavie Estlarge
Vous avez de très beaux articles. Félicitations.