La fin du temps de cerveau disponible
- juin 09, 2017
- A la Une, Société
- Par Morano de Bergerac
Connecté en permanence, le monde du loisir et de l’activité ludique a rendu l’oisiveté terrifiante. Et si le temps long avait disparu de notre société. Et si nous avions épuisé notre capacité d’attention…
Le snacking a remplacé la cuisine. Les articles en ligne ont remplacé les livres.
Nous lisons chaque jour des articles, visionnons des vidéos, écoutons des musiques… Mais le dictat du format court s’est imposé dans notre quotidien, qui se retrouve encombré d’une pléthore de micro-activités. Comme Tetris, nous cherchons à combler le moindre instant de vide.
Les moments sans écran se réduisent comme peau de chagrin. Du réveil aux toilettes, des repas aux embouteillages. Jusqu’au milieu de la nuit. Nous nous sommes habitués à accéder en permanence au monde de l’information. Le nombre de supports à notre disposition ne cesse d’augmenter : smartphone, ordinateur, tablette, montre et autres objets connectés…
L’oisiveté est terrifiante, y échapper est devenu pulsionnel. Mais cette fenêtre vers le monde est à double tranchant, elle nous rend aussi accessible. Nous voilà sollicités en permanence. Une notification, une sonnerie, un sms…
Notre quotidien a muté pour se plier à l’instantanéité. Nous sommes à l’affut de ce monde qui ne dort jamais.
Hacker notre cerveau
Il y a 13 ans, le PDG de TF1 avait fait polémique avec ce terme : le temps de cerveau disponible.
Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.
Les dirigeants face au changement, Patrick Le Lay (2004)
Ce propos provient du monde d’hier, celui de la télévision. Il résonne pourtant encore comme une vérité que l’on n’aime pas entendre. Celle de notre vulnérabilité. Nous ne contrôlons pas l’attention que l’on porte au monde.
Au-delà de l’omniprésence des médias, nous voici dans l’ère de la personnalisation. Les stimuli envoyés par les nouveaux médias (Facebook et consort) s’adaptent aux sensibilités de chacun. Le média moderne analyse et répond à nos tentations personnelles.
Les entreprises s’intéressent aux neurosciences et notamment au circuit de récompense neurologique, qui a dévoilé certains de ses secrets. Mais la présence d’inhibiteurs de monoamine-oxydase dans le tabac prouve que cela ne date pas du monde de l’internet. L’objectif est de créer de la dépendance, de hacker notre cerveau.
La fin du temps de cerveau disponible
Que nous dit cette projection dans le présent ? Et si notre comportement démontrait que notre cerveau n’était plus disponible. Quand même notre sommeil, dernier sanctuaire, est entrecoupé de consultations pulsionnelles d’information.
Qu’en est-il de cette ressource précieuse qu’est l’attention humaine. Et si le prix à payer était de vivre uniquement dans l’instantanée, comme une scène de Memento.
Régression au stade oral
Les psychologues parlent de régression au stade oral. Ce stade où l’enfant en bas-âge pleure pour avoir le sein maternel. Son besoin doit être assouvi dans l’immédiat. Il ne peut concevoir pourquoi il n’en serait pas ainsi.
Notre cerveau est désormais rempli, encombré de ces stimuli permanents. Il n’a plus le temps de se concentrer sur l’utile. Le futile et la pulsion ont pris la part belle : cliquez sur ce top 10, le quatrième va vous étonner !
Une société qui mène au trouble de l’attention
Certaines études récentes décrivent le cerveau comme un système prédictif. Un animal avide d’information. Qui cherche en permanence quelque chose à découvrir autour de lui. La captation de l’attention est un piège redoutablement efficace.
N’en déplaise aux partisans des théories du complot, il s’agit d’un but recherché par personne. Mais la conséquence est bien là. Et si notre société devenait incapable de réellement se concentrer ? De construire un temps long, cohérent et justifié par une connaissance fondamentale.
Au jeu de la captation de l’attention, le futile l’emporte malheureusement sur le philosophe, la mère ou le professeur.
Loin d’être l’apanage de l’adolescent, aucune frange de la population n’est épargnée par ces pulsions incontrôlables. Le constat est là, le smartphone est déjà interdit par nombre de grands patrons en réunion. François Hollande l’avait également interdit du conseil des Ministres en 2014.
Sortir d’une addiction socialement acceptée
Comme dans toute chose, la nocivité provient de la surconsommation. Du manque d’équilibre.
Le fait de se savoir addict est un premier pas. Mais réduire cette addiction nécessite une démarche proactive. De la sueur et des larmes pour reprendre les mots de Winston Churchill.
Un mauvais présage quand on sait qu’on lutte rarement contre une addiction partagée et socialement acceptée. Même si ses effets sont dévastateurs.