Ode à Pasolini
- avril 01, 2016
- Culture, On respecte
- Par Simon Zarate
Un hommage à l’immense Pier Paolo Pasolini, journaliste, écrivain, scénariste et réalisateur italien.
Ecrire un article sur mépris.fr, c’est d’abord cet état d’esprit revendicateur-pamphlétaire !… chier sur tout ce qui bouge d’une onctueuse colique brûlante, agrémenté d’un sourire de façade qui ne trompe personne ! Malheureusement pour vous, je ne me sens pas d’humeur massacrante mais dans ce que l’on pourrait appeler : « l’envie d’avoir envie de donner de l’amour » (un peu lourd, je sais !). C’est pourquoi, j’écris dans la rubrique « On respecte » pour vous conter mon histoire d’amour avec le génial poète-réalisateur Pier Paolo Pasolini.
PPP pour les intimes, c’est avant tout, un esprit libre et visionnaire ! D’ailleurs, peu l’ont réellement compris !… surtout à son époque !… Pour preuve, son ignoble assassinat sur la plage d’Ostie près de Rome à la fin de l’année 1975. Je commence par la fin, surtout quand elle demeure si tragique, si grandiose aussi ! C’est à croire que PPP a vécu sa vie comme un roman ! C’était écrit qu’il finirait comme « son » Christ, martyrisé pour avoir osé chambouler les valeurs de son monde.
Fascisme et société de consommation
Dans sa jeunesse, sous le fascisme mussolinien, il composa des poèmes en italien et en frioulan, très inspiré de littérature russe. Sa rencontre avec la pensée de Gramsci, notamment sur le concept d’hégémonie culturelle, marquera le tournant de sa vie. Inspiré des idées marxistes de ce dernier, il entra dans une révolte permanente qui marquera l’ensemble de son œuvre. J’ai découvert Pasolini dans le livre « Ecrits corsaires », formidable recueil d’articles journalistiques du temps où il écrivait dans le Corriere della Serra (1973-1975). Et bien, je peux vous dire que cet homme poignant, doté d’une parole sincère et libre m’a réellement bouleversé dans la justesse de son combat. Bataillant contre l’uniformisation bourgeoise du monde par ce nouveau fascisme qu’il décria tant, la société de consommation, qui change l’âme des hommes dans ce qu’ils ont de plus profond. De New-York à Rome, uniformisation obligatoire, vos façons de penser, votre manière de vous habiller, à la musique que vous allez écouter, vous n’échapperez pas au conformisme du marché.
Un révolutionnaire
Quel enragé ce Pier Paolo, il avait combattu avec acharnement la télévision abrutissante en tant que média de masse !… il avait proposé à l’Eglise de devenir réellement révolutionnaire, de cesser de fricoter avec un pouvoir qui l’avait réduit à du pur folklore !… Pasolini, c’est aussi un réalisateur de génie avec son premier film Accattone (1961), l’histoire de ces pauvres dont on ne parle jamais. En 1964, il adapte au cinéma l’Evangile de Saint Matthieu, lui le marxiste, et pourtant il n’y a aucune contradiction !… tout est cohérent chez PPP, le Christ est un être révolutionnaire, ni plus ni moins. Ce sera à ce jour, le plus beau film réalisé sur la vie du Nazaréen. S’en suivront notamment, Théorème (1968), Il Decameron (1971), Salò (1974) et démontrent chez Pasolini sa fascination pour le corps humain, un véritable théoricien de ce que l’on osera appeler la Mystique des corps. Le corps comme langage, comme expression mais aussi et surtout comme singularité contre une société qui uniformise les corps à un modèle voulu et quasi-imposé.
Pour finir, je vous conseille les deux ovnis-poésies cinématographiques : Carnet de notes pour une Orestie africaine et Appunti per un film sull’India.
Le fascisme avait en réalité fait [des Italiens] des guignols, des serviteurs, peut-être convaincus, mais il ne les avait pas vraiment atteints dans le fond de l’âme, dans leur façon d’être. En revanche, le nouveau fascisme, la société de consommation, a profondément transformé les jeunes ; elle les a touchés dans ce qu’ils ont d’intime, elle a donné d’autres sentiments, d’autres façons de penser, de vivre, d’autres modèles culturels. Il ne s’agit plus, comme à l’époque mussolinienne, d’un enrégimentement superficiel, scénographique, mais d’un enrégimentement réel, qui a volé et changé leur âme. Ce qui signifie, en définitive, que cette « civilisation de consommation » est une civilisation dictatoriale. En sommes, si le mot de « fascisme » signifie violence du pouvoir, la « société de consommation » a bien réalisé le fascisme.
Pier Paolo Pasolini, Ecrits corsaires